La valse des mots,

Je vous en prie, fermez les yeux,
Entrez dans mon rêve bien bleu,
Vous connaîtrez un instant merveilleux,
Qui vous rendra vraiment heureux.

Entendez-vous ce bel air joué?
Les mots sont de toute beauté,
Je ne peux que les partager,
Pour moi vous faire juste rêver.

Les doux mots s’envolent si vite,
Chacun devenant un grand artiste,
Ils se mettent doucement en piste,
Il n’y a aucun mot triste.

Chaque mot devient belle lumière,
Faisant un peu le tour de la terre,
Si vous le voulez, valsez le nez en l’air,
Oh !! des mots je ne sais que faire.

Les mots reviennent à nouveau,
Ils redeviennent plus beaux,
C’est le plus joli morceau,
Qui fait tanguer un peu plus haut !

C’est une valse à mille temps,
Celle qui durera bien longtemps,
Je vous en prie si tendrement,
Laissez-vous aller à ce moment.

Carnaval

Venise pour le bal s'habille.
De paillettes tout étoilé,
Scintille, fourmille et babille
Le carnaval bariolé.

Arlequin, nègre par son masque,
Serpent par ses mille couleurs,
Rosse d'une note fantasque
Cassandre son souffre-douleurs.

Battant de l'aile avec sa manche
Comme un pingouin sur un écueil,
Le blanc Pierrot, par une blanche,
Passe la tête et cligne l'oeil.

Le Docteur bolonais rabâche
Avec la basse aux sons traînés;
Polichinelle, qui se fâche,
Se trouve une croche pour nez.

Heurtant Trivelin qui se mouche
Avec un trille extravagant,
À Colombine Scaramouche
Rend son éventail ou son gant.

Sur une cadence se glisse
Un domino ne laissant voir
Qu'un malin regard en coulisse
Aux paupières de satin noir.

Ah ! fine barbe de dentelle,
Que fait voler un souffle pur,
Cet arpège m'a dit : C'est elle !
Malgré tes réseaux, j'en suis sûr,

Et j'ai reconnu, rose et fraîche,
Sous l'affreux profil de carton,
Sa lèvre au fin duvet de pêche,
Et la mouche de son menton.

Théophile GAUTIER (Émaux et Camées)